Après le XVIIIème siècle qui a répertorié un ensemble de légendes et de croyances vampiriques, le vampire prend son véritable essor en littérature au XIXème siècle.
Premiers écrivains
De nombreux écrivains traitèrent du thème vampirique dès le début du XIXème siècle, sous différentes formes, ce sont, entre autres ;
En France :
Charles Nodier, Contes et nouvelles, Infernalia en 1822
Charles Baudelaire, Le Vampire en 1855
En Angleterre :
J.W. Polidori The Vampyre en 1819
E. Brontë, Wuthering Heights (Les Hauts de Hurlevent) en 1847
Cependant il n’y en a qu’un seul qui sût renouveler le genre en faisant une synthèse des légendes existantes et en y introduisant le fruit de sa propre imagination pour créer un archétype de vampire qui inspire encore aujourd’hui les auteurs de fantastique : Abraham Stoker, dit Bram.
Bram Stoker
Cet écrivain irlandais (1847-1912) est un enfant maladif qui doit garder la chambre jusqu’à l’âge de 8 ans. Sa mère, l’écrivain C.M. Thornely, lui conte lors de sa longue
convalescence, de vieilles légendes irlandaises surnaturelles qui le marqueront toute sa vie. Guérit, Bram devient à 16 ans un passionné de poésie, de littérature et de théâtre. Diplômé de
mathématiques, il sera fonctionnaire, avant d’être l’administrateur du Lyceum Theatre de Londres. En parallèle, il écrit des nouvelles pour enfants. Il fait alors connaissance de passionnés de
surnaturel, dont le docteur A. Vanbery, grand connaisseur de légendes et folklores d’Europe Centrale.
En mai 1897, après 7 années de travail, sort son roman culte Dracula.
Pour écrire cette « Bible du vampirisme », perfectionniste, Bram se documente le plus fidèlement possible.
Malgré le succès mitigé de son roman à sa publication, il se consacre à l’écriture et publie d’autres récits et romans jusqu’à la fin de sa vie.
Dracula en son temps
Cette œuvre majeure de Bram Stoker, Dracula, naît donc dans une ère industrielle qui réorganise le monde, la pensée, ou l’imaginaire est banni, aussi bien en France qu’en Angleterre.
Le vampire n’a plus de place entre la religion, le progrès et le rationnel, et pourtant, Dracula voit le jour dans cette Angleterre victorienne, féroce gardienne de ses valeurs socio-culturelles immuables. Contrant cette morale étouffante, cette figure vampirique se construit sur le scandale, l’impiété et la marginalité.
La fin du XIXème siècle est également une époque de grands criminels (Jack l’Eventreur, tueur en série de Londres en 1888), d’épidémies de syphilis (en Occident durant la deuxième partie du siècle) et de malades soignés par saignée qui doivent boire du sang animal pour rétablir l’équilibre de leur système, de la découverte de la porphyrie congénitale (carence génétique en enzymes entrainant comme symptômes une destruction de l’épiderme lors de l’exposition à la lumière solaire, une coloration des dents et des ongles virant au rouge-brunâtre, une nécrose des gencives faisant ressortir les dents, une allergie à l’ail et des troubles neuropsychiatriques comme la violence).
Au milieu de tous ces faits qui font de ce siècle ce qu’il est, Dracula provoque un attrait par son côté surnaturel, il offre à la fois un effet de surprise et de terreur dans ce monde devenu rationaliste et matérialiste, il crée l’effet « fantastique ». Comme le dit Estelle Valls de Gomis, il existe « une fascination pour l’horreur et la mort, présentées comme séduisantes et repoussantes à la fois ».
Son côté « exotique » séduit aussi, car qui a voyagé en Transylvanie à cette époque ?
Mais qui est donc cette incroyable figure vampirique créée par Bram Stoker ?
Résumé de l’œuvre
Tout commence par la venue d’un clerc de notaire Jonathan Harker, en Transylvanie, chez son client le comte Dracula. Il est emprisonné dans le château en ruines de ce dernier,
sous l’emprise de trois femmes vampires, pendant que Dracula s’embarque pour Londres.
Il y fait de Lucy Westenra sa première victime, que le docteur Seward tentera en vain de sauver, aidé de ses amis et de son mentor le professeur Van Helsing.
Pendant ce temps, Mina, la fiancée de J. Harker et amie de Lucy, part épouser Jonathan réfugié dans un hôpital, dans les Carpates, avant qu’ils ne reviennent tous deux en Angleterre.
Convaincu entre temps que Lucy est devenue un vampire, le professeur Van Helsing et ses amis sauvent son âme de la damnation par des rituels anti-vampiriques et se lancent à la poursuite de Dracula reconnu par J. Harker à Londres. Hélas, le comte prend Mina sous son emprise et l’abreuve de son propre sang.
Pourchassé par les amis de celle-ci, Dracula les fuit, pour se réfugier dans son château en Transylvanie, mais sera finalement anéanti avant d’arriver à destination et Mina sera délivrée de son malfaisant charme vampirique.
Caractères du vampire
Dracula apparait avant tout comme un monstre, un prédateur (chapitre 8 avec Lucy et chapitre 21 avec Mina), une menace pour l’homme (Mina le décrit avec précision sur plusieurs pages dans le chapitre 18).
Il appartient à la noblesse (chap.2), c’est un érudit (chap.23), il vit dans un château ou de vieilles demeures « une maison moderne me tuerait » dit-il chap.11.
Physiquement, dans les chapitres 2 et 13, il est longuement décrit comme étant extrêmement laid, avec l’haleine fétide et des mains aux paumes poilues, il ne se reflète pas dans le miroir de J. Harker, enfin dans le chapitre 3, nous apprenons qu’un vampire ne projette pas d’ombre sur le sol.
Ces pouvoirs sont toutefois multiples ; il a le don de se transformer par exemple, en chauve-souris chap.8), en chien (chap.7), en loup (chap.11), en grains de poussière (chap.11), il peut changer de taille, maitriser les éléments (tempête, brouillard, chap.7), se faire obéir des loups et des rats, il est télépathe avec ses victimes, il maîtrise l’hypnose (chap.21) et le sang frais le rajeunis, le fortifie (chap.4).
Dracula connait des limites cependant, il doit impérativement dormir dans un cercueil contenant de la terre consacrée de ses ancêtres (chapitre 28), il ne peut entrer chez une personne sans qu’elle l’y ait invitée la première fois (chapitre 22), il ne peut traverser une surface d’eau qu’à marée basse et surtout ne peut utiliser ses pouvoirs surnaturels pendant le jour (chapitres 22,23 et 26).
Pour le repousser, l’ail, le crucifix, l’eau bénite et le rosier sauvage sont efficaces (chap.21).
Pour le détruire, il faut lui enfoncer un pieu de bois en plein cœur et le décapiter (chap.26 et 27 où il meurt).
Bram Stoker a su utiliser toutes les sources historiques et flokloriques existantes pour créer son personnage et son imagination l'a complété, enrichissant la figure littéraire du vampire, en faisant un surhomme monstrueux, inspirant la peur à son lecteur.
Nul doute, que Bram Stoker est le véritable créateur du mythe littéraire du vampire.
Il y a bien eu glissement du mythe folklorique à celui de mythe littéraire.
